Thématique : Oeuvres - Département des Arts graphiques
Titre / Artiste ou origine : Tête d'homme coiffé d'un bonnet ; homme drapé, s'inclinant vers la droite / Botticelli, Sandro
Précisions : école de / papier préparé en rose - pointe d'argent - rehauts de blanc
N° d'inventaire : INV 678
Localisation : Musée du Louvre
Photographe : Marc Jeanneteau
N° Image : MJ11099
Copyright photo : © 2011 Musée du Louvre / Marc Jeanneteau
Blanc ou de couleur, il vient de loin et nous est proche. Ici couché et là bouffant, parfois lisse, parfois vergé, ailleurs gaufré ou bien toilé, huilé ou verni, découpé et collé, maculé ou imprégné, chiffonné ou tendu, récupéré et recyclé, baigné ou brûlé, il est toujours pour les artistes ce voyageur, chinois de souche, ouzbek par destin, arabe par chance, européen par fortune, universel. Matière plus que matériau, il est matière à penser, et à penser le dessin, bien sûr. Visite de l’exposition qui raconte la grande aventure du papier, acteur à part entière de la création artistique.
De même qu’ils utilisent les outils les plus divers, les médiums les plus variés, les dessinateurs emploient toutes sortes de feuilles, plus ou moins légères, plus ou moins sonnantes, plus ou moins translucides. Ils y jettent des formes à la ressemblance du réel ou de leurs pensées, ou bien ils les découpent, les agrandissent, les réunissent, les plient à leur désir. Usagées, ils les récupèrent et les ennoblissent : ce sont des papiers de fortune. Fabriquées pour eux à dessein, ils les magnifient de leur art : ce sont des papiers élus. Soumises à leur amour violent, ces feuilles sont parfois déchirées, perforées, brûlées. Le dessin se fait accident, lacune, mutilation, fumée, et se trouve grandi du martyre de son matériau. Pour mener à bien cette démonstration, le musée du Louvre a rapproché des chefs-d’œuvre anciens du département des Arts graphiques, du musée d’Orsay et de la Fondation Custodia, d’autres chefs-d’œuvre des XXe et XXIe siècles empruntés au cabinet des dessins du musée national d’Art moderne, à la Bibliothèque nationale de France, au musée Picasso, à la Fondation Giacometti, au musée d’Art moderne de Saint-Étienne et à plusieurs collections privées.
Très tôt, dès les XIVe et XVe siècles, les artistes ont posé de la couleur sur leur feuille. Le papier est alors un acteur masqué. Les premiers papiers de couleur sont « préparés ». Ils permettent de dessiner à la pointe de métal. Les teintes sont multiples : blanc, gris, bleu, vert, jaune, rose. Antonio Pisanello (Étude de singes) et Sandro Botticelli (Étude de tête d’homme) usent de cette délicate technique. Appliqué à la brosse, le fond coloré fait saillir les volumes. Sur un fond rose intense, Edgar Degas peint à l’huile et à l’essence et met en lumière une Danseuse vue de dos. Ce rose devient plus tard, dans un dessin de Robert Barry, le sujet même de l’œuvre.
D’autres artistes, comme Nicolas Vleughels dans son étude d’Ailes d’oiseaux brossée dans un camaïeu de gris et de gris-brun, peignent à l’huile sur le papier, pour faire de l’ébauche une liberté, et c’est une technique fort prisée au cours des XVIIIe et XIXe siècles.
Que de savoureuses manipulations à partir de simples feuilles de papier ! Certains, comme les anciens Chinois qui concevaient des livres en accordéon en aboutant des feuilles, les juxtaposent pour obtenir un long support. Ainsi procède Geneviève Asse en 1988 dans sa maquette pour Début et fin de la neige destinée à un poème d’Yves Bonnefoy. D’autres peintres, comme Rubens ou Ingres, assemblent et collent des fragments de papier à mesure qu’ils conçoivent leurs dessins. C’est une méthode de travail qui procède par agrégation. Ingres conserve dans son « laboratoire » des centaines de dessins fiches « aide-mémoire » qui lui permettent d’élaborer une composition à la manière d’une chorégraphie, en essayant, en ajoutant, en retranchant, en cachant, en modifiant, collant toujours. Mais les artistes peuvent aussi à proprement parler dessiner dans le papier grâce à une paire de ciseaux. Victor Hugo joue en virtuose des découpages et des pochoirs. Au début du XXe siècle, la technique du collage devient un art à part entière : c’est l’époque des « papiers collés » et des « collages », de Braque, de Picasso, de Schwitters et de tant d’autres. Matisse, un peu plus tard, réalise, lui, des gouaches découpées, des « découpages », et il tient à cette expression. Son projet de rideau pour le ballet de l’Étrange Farandole en est, en 1938, l’un des tout premiers exemples : ciseaux, colle et punaises. Le papier n’a qu’à bien se tenir. Et il tient.
Les plus grands artistes ont travaillé sur des papiers de récupération, cartes à jouer, verso de gravures, papiers à en-tête, vieux emballages, journaux et revues. Il s’agit de faire quelque chose de n’importe quoi, faire d’un rien l’essentiel, de prendre ce que l’on a sous la main. En même temps, et surtout à partir du début du xixe siècle, l’offre de papier est démultipliée par l’arrivée des machines à papier. Naît alors en France une catégorie nouvelle, le papier pour artistes. Ce dernier va devenir la spécialité des grandes entreprises papetières (Montgolfier, Canson) dont les papiers seront bien diffusés. Le papier Ingres, apparu vers 1850, est caractérisé par sa trame visible. Son grain accroche le crayon. La blancheur grenue du papier Michallet, utilisé par Seurat, convient particulièrement au noir de la craie Conté. On fabrique aussi du papier spécialement conçu pour l’aquarelle.
Les pratiques de l’incision, du « poncif », du calque remontent à des temps anciens. Les peintures monumentales ne peuvent être exécutées que grâce à des procédés de ce type. Ainsi, Charles Le Brun, le maître de Versailles, réalise les cartons préparatoires à ses décors peints dans un papier brun qu’il perfore pour laisser passer la poudre noire de fusain et transférer les contours de ses tracés. Au début du xixe siècle, la mise au point du papier calque par Barthélemy de Canson révolutionne la manière de travailler. Plus besoin de perforer ou d’inciser la feuille pour que le dessin traverse la surface de la page. Il suffit d’utiliser sa transparence. Nos contemporains n’ont pas oublié cet acquis et ils jouent aujourd’hui de tous les registres de la transpa rence en superposant des calques, des feuilles fines comme du papier bible ou d’autres papiers encore, comme ces papiers Ingres utilisés par Toni Grand et qui sont devenus translucides au contact de la peinture.
L’exposition s’achève avec des créations des XXe et XXIe siècles. D’un côté, des œuvres s’emparant librement de la matière du papier pour la « glorifier » : papiers superposés vivement colorés de François Rouan, qui s’achemine vers un véritable tressage, assemblages éclatants de Claude Viallat, imbrications de lourds papiers mexicains d’Eduardo Chillida, imprégnations d’encres de Daniel Chompré sur papier-filtre. De l’autre, des œuvres mutilant les papiers : par déchirure avec Jean Arp, par perforation avec Lucio Fontana, par arrachage avec Jacques Villeglé, par empreinte de la rouille avec Bernard Pagès, par manducation des termites avec Miquel Barceló et même par le feu avec Christian Jaccard. Un dessin de Philippe de Champaigne partiellement détruit par un incendie au début du XVIIIe siècle montre que sa destruction accidentelle est devenue partie prenante de sa beauté. Le péril du papier est encore un dessin.
Pour son oncle le sculpteur Aristide Maillol, le peintre Gaspard Maillol met au point en 1911, dans le petit atelier de Montval, un papier artisanal fabriqué avec des chiffons de chanvre et de lin. C’est le comte Harry Kessler, jeune aristocrate allemand, directeur des musées de Weimar, amateur d’art contemporain et mécène du sculpteur, qui finance cette opération. La Femme accroupie de dos du musée Maillol est l’une des toutes premières feuilles réalisées sur ce papier qui se caractérise par son aspect volontairement artisanal, aux fibres bien visibles. Ce papier reçoit un filigrane dessiné par Maillol d’après une de ses plus célèbres sculptures, la Méditerranée. En 1925, Gaspard Maillol cède sa marque à Canson qui développe alors une gamme plus complète pour les artistes. Aujourd’hui, le papier Montval, adapté aux nécessités de l’évolution industrielle, reste fabriqué selon les critères initiaux, avec une pâte composée à 100 % de cellulose et sans acide. Il est réalisé en feuilles ou en rouleaux de plusieurs mètres. Son grammage est élevé, jusqu’à 300 grammes au mètre carré, et son grain est dit « nuageux ».
« Le papier à l’œuvre »
Du 9 juin au 5 septembre 2011
Aile Sully, salle de la Chapelle.
Commissaires de l’exposition : Natalie Coural (C2RMF), Dominique Cordellier et Hélène Grollemund (musée du Louvre). Cette exposition est réalisée grâce au mécénat de Canson.
À lire Le Papier à l’œuvre, catalogue de l’exposition, collectif, coéd. musée du Louvre Éditions/ Hazan, 280 p., 235 ill., 39 €.
Source : Le Louvre