Aller au contenu principal

Sept dessins de « drôlerie »

Notez cet article
Aucun vote pour le moment

Nouvel exemple de l’art du peintre et enlumineur parisien Baptiste Pellerin (mort en 1573), cette série marque, par son caractère littéraire et par son genre, la drôlerie, peu représenté dans les collections du Louvre.

Ces sept dessins (ci-dessous) offrent un nouvel exemple de l’art de Baptiste Pellerin dont les dessins ont été, jusqu’à ces dernières années, confondus avec ceux du célèbre graveur Étienne Delaune qui fut son principal interprète. Pellerin, qui a moins peint que fourni des dessins à toutes sortes de gens de métier, a souvent mis son imagination artistique au service d’écrivains de premier plan : Étienne Jodelle (1558), Jean Dorat (1573), Jacques Gohory (1571) et Pierre de Ronsard (1580).

Le caractère littéraire constitue d’ailleurs l’un des traits remarquables de cette série de dessins puisque deux des feuilles – Pantagruel, Panurge, frère Jean et Epistémon dans l’Ile sonnante et Les Chats-fourrés dans l’Ile de Condamnation –, qui donnent le ton de l’ensemble, illustrent l’Isle sonnante, un texte publié en 1562-1563 sous le nom de Rabelais, neuf ans après sa mort.

Ce texte, repris plus tard au début du Cinquième Livre de Pantagruel (1564), dresse une image très critique des moines et de la hiérarchie ecclésiastique à un moment où la France est déchirée par les guerres de Religion. On suppose aujourd’hui qu’il fut composé à partir de brouillons de Rabelais retranchés du Quart Livre. Quoi qu’il en soit, son illustration par Pellerin n’a pas d’équivalent au XVIe siècle. Elle utilise toutes les ressources d’un genre très mal représenté dans les collections graphiques du Louvre, le genre de la drôlerie, de la satire en image.

Tous les dessins montrent des corps hybrides, atrophiés ou amplifiés, des monstres, des figures grossières, étranges ou horribles, qui font écho à l’univers d’un Bosch ou d’un Bruegel et dont la plus difforme est sans doute la représentation personnifiée du Ouï-dire et la plus douloureuse celle de l’Odieuse Vérité. Parce qu’au-delà de leur prodigieuse fantaisie, ces images sont d’une lucidité éprouvante et excessive, parce que leur extravagance use de toutes les discordances du grotesque, parce qu’elles s’affranchissent du poids de l’harmonie, parce que leur rire est une grimace et leur grimace un rire, ces dessins rabelaisiens parlent encore d’une voix intelligible et claire aux esprits modernes que leur propre bouffonnerie, laide, ironique, pathétique et sublime, inquiète et inspire.

Par Dominique Cordellier

Source : Le Louvre

Les crédits pour les images présentées ci-dessous sont les suivants :

Baptiste Pellerin (actif de 1548 à 1575)
Illustration de L’Isle sonnante de Rabelais
Entre 1562 et 1575
Plume et encre brune, lavis d’encre brune
Environ 21 x 30 cm chacune.