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Petite Chronique du Costume: Les secrets du négligé

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Jean-Antoine Watteau (Valenciennes, 1684 - Nogent/Marne, 1721) 
Les deux Cousines 
Vers 1716

© 2004 Musée du Louvre / Angèle Dequier

 

Article extrait du magazine Grande Galerie – Le Journal du Louvre, n°12, juin/juillet/août 2010

Par Sabine de La Rochefoucauld pour le Louvre

 

Alors que deux couples d’amants sont en conversation galante sur les berges de l’étang, une jeune femme solitaire se détourne. De dos, elle offre aux regards la nouvelle toilette en vogue.

 

Voici une robe dont les variantes se nomment « à l’innocente », « volante », « battante », « ballante » et aussi « Andrienne ». Cette dernière appellation est inspirée de l’Andrienne de Térence. Pour interpréter cette comédie latine, Mme Dancourt portait cette nouvelle robe vague dans le rôle de Glycerie relevant de couches. Cette célèbre actrice jouera les amoureuses jusqu’à l’âge de soixante ans !

Avec la Régence, sous l’influence de la société parisienne et d’une cour plus libre, les robes s’allègent de leurs surcharges et peuvent se relever de la main, les manches sont courtes et larges, à plis longitudinaux avec parements en éventail. L’esseulée de Watteau porte à la saignée du bras une « engageante », manchette de linge à plusieurs rangs, probablement en soie. Sa chemise blanche est visible à l’échancrure du décolleté. La robe ample flotte dans le dos et sur les côtés, elle est caractérisée par un dispositif de fronces ou de plis plats partant de l’encolure et des épaules et s’évasant dans le développement du vêtement.

Watteau styliste malgré lui ?

Le nom de « robe Watteau » ou de « plis Watteau » est apparu beaucoup plus tard dans l’histoire du costume. L’artiste n’a rien inventé, ses peintures et dessins reproduisent fidèlement les nombreuses créations vestimentaires de l’époque. Ainsi l’histoire lui attribua à tort un talent de styliste. Pour une robe, il faut 10 à 12 aunes de tissus soit 12 à 14 mètres : les étoffes lourdes sont abandonnées au bénéfice des soies, basins, mousselines et cotonnades. Le Mercure de France écrit en mars 1720 « les robes volantes sont universellement en règne. On ne voit presque plus d’autres habits… le plus grand nombre de taffetas blanc ou de couleur rose…»

Ce n’est pas la robe qui est nouvelle mais l’usage qui en est fait : enfilée sur le jupon et le corps à baleines bien ajusté sur la chemise, elle avait été jusque là portée en déshabillé réservé à l’intimité des boudoirs, bien que ses formes amples l’aient fait choisir par les femmes enceintes pour dissimuler leur état. Ainsi Mme de Montespan renseignait-elle immédiatement la cour sur ses espérances. L’arrivée en masse dans les rues de cette robe de chambre n’a pas été sans choquer les personnes d’un certain âge, habituées sous Louis XIV à plus de rigueur vestimentaire. La Princesse Palatine trouve qu’il est « impertinent d’en mettre » et n’en souffre aucune en sa présence, « c’est comme si on allait se mettre au lit ».

Pour déployer les étoffes de ces très larges robes, les femmes porteront des paniers constitués par un jupon armé de jonc de mer ou d’acier, luxe réservé aux femmes riches avant l’invention ingénieuse en 1735 d’une couturière d’Amboise qui trouva le moyen de les fabriquer à bon marché. L’origine semble venir du théâtre qui souvent inspire la mode ; comédiens et danseurs se sont ingéniés à donner du volume à leurs jupes. L’ampleur des robes, qui culminera à la fin des années 1720 à près de 4 mètres de circonférence, est propre à dissimuler des petits sacs suspendus sur le jupon de dessous et attachés à une ceinture autour de la taille. On y accède par des fentes latérales qui permettent aussi de « retrousser la robe dans les poches » pour faciliter la marche.

La jeune femme porte des souliers brodés, à talon hauts, minces et cambrés, cachés ici par la longue robe qui traîne sur le sol. Coiffée, et poudrée ce qui est nouveau, ses cheveux sont remontés sur le haut de la tête, ils sont bouclés et piqués de fleurs en soie de couleurs et de plumes.

Marivaux écrivait dans son journal le Spectateur François en 1720, que ces « négligés étaient comme un honnête équivalent de la nudité même…Une abjuration simulée de coquetterie ».