Thématique : Oeuvres - Département des Peintures
Titre / Artiste ou origine : PORTRAIT DE VÉNITIENNE, DITE LA BELLE NANI / VÉRONÈSE, Paolo CALIARI, dit
N° d'inventaire : RF 2111
Localisation : Musée du Louvre
Photographe : Angèle Dequier
N° Image : AD070166
Copyright photo : © 2007 Musée du Louvre / Angèle Dequier
Article extrait du magazine Grande Galerie – Le Journal du Louvre, n°10, décembre/janvier/février 2009-2010
Par Sabine de La Rochefoucauld pour le Louvre
Robe bleue, bijoux, décolleté audacieux : Véronèse fixe dans ce portrait le modèle de l'élégance vénitienne.
La Sérénissime au XVIe siècle est un des centres de la mode en Europe et la Belle Nani illustre l’idéal de l’élégance vénitienne. Ses formes généreuses sont signe de bonne santé et de fécondité ; ses cheveux frisés et torsadés sont blonds, la couleur en vogue, grâce à «l’exposition au soleil et par diverses eaux ou compositions faites exprès » ; des perles sont tressées dans sa coiffure, parure favorite des Vénitiennes exaltant le teint nacré - la République adopta certes des lois somptuaires restreignant leur usage mais les fêtes reviennent souvent et les dérogations aussi, car il faut être belle !
À même la peau, de soie ou de lin, la chemise est large, à coulisses pour l’ajuster. Pas de culotte, le caleçon se porte rarement chez les patriciennes. Les bas sont en laine ou en soie. Puis vient le corps, façonné de fanons de baleine, qui aplatit et relève la poitrine. À cette époque, il est doté sur le devant d’une gaine dans laquelle se glisse le busc, lame épaisse de quelques centimètres de large et de la hauteur du corset, en bois, ivoire, métal ou os, qui se retire pour s’asseoir. Cet objet est exposé aux regards et des propositions galantes peuvent y être inscrites : "Ai de Ma Dame cette grâce / D'être sur son sein longuement / D'où j'ouis soupirer un amant / Qui voudrait bien tenir ma place."
Le vertugade est un jupon matelassé armé de jonc de mer ou de métal, ici en forme de cloche, porté sous la robe pour accentuer l’opulence. Le lourd tissu de velours de soie bleu argenté se porte en toutes saisons, il tombe jusqu’à terre en plis épais et rend ainsi les mouvements lents et majestueux, accentués par la hauteur des chaussures aux semelles compensées. La marche est laborieuse, elle nécessite l’aide et le soutien de plusieurs servantes. De nombreuses autres pièces construisent ce vêtement s’attachant les unes aux autres par des lacets ou des aiguilles. Un cordon bleu traverse et serre la robe sur le buste. Les manches font partie des cadeaux exposés dans la corbeille de mariage, elles sont en brocart de velours de soie à ramages bleus sur fond blanc, de confection vénitienne. Les manchettes en dentelles à motif floral, de même que le décolleté, ici bordé d’un fil bleu, sont une création vénitienne, centre de l’industrie des dentelles à l’aiguille.
Le décolleté en carré dénude la poitrine jusqu’aux aisselles, cette mode n’est permise qu’aux dames nobles et mariées à l’occasion des fêtes ; cette nudité réservée aux vertueuses mères de famille est appelée par les Français « l’espoitrinement à la façon de Venise », cela choquait beaucoup les étrangers de passage.
Sur chaque épaule, deux lourdes agrafes en or, perles et camées, attachent le voile transparent de gaze de soie. Une somptueuse chaîne en or, sertie de saphirs et rubis, délimite le haut du bas de la robe soulignant la pointe par une troisième agrafe décorée d’un masque de femme. Deux autres chaînes en or, deux bracelets et de nombreuses bagues, dont l’alliance maritale, complètent la très riche parure de l’élégante inconnue, en contravention avec les nombreux édits somptuaires…
Ainsi, la belle au regard rêveur s’offre à nous. La main droite, majeur et annulaire joints, désigne son cœur ; ce geste exprime une salutation respectueuse et l’assurance de sa fidélité. Ses yeux gris-bleu sont rendus humides grâce à quelques gouttes de belladone. L’inconnue présente tous les critères de beauté recherchés sur la lagune avec sa peau d’une blancheur éclatante rehaussée d’un peu de rouge. Ce vêtement bleu, couleur du ciel et de l’esprit, évoque la femme idéale, habillée de la couleur mariale, royale et morale.