Aller au contenu principal

Petite Chronique du Costume: Les dessous du Verrou

Notez cet article
Aucun vote pour le moment

Thématique : Oeuvres - Département des Peintures
Titre / Artiste ou origine : LE VERROU / FRAGONARD Jean-Honoré
Précisions : Ecole Française
N° d'inventaire : RF 1974 2
Localisation : Musée du Louvre
Photographe : Angèle Dequier
N° Image : AD050212
Copyright photo : © 2005 Musée du Louvre / Angèle Dequier

 

Article extrait du magazine Grande Galerie – Le Journal du Louvre, n°8, juin/juillet/août 2009

​Par Sabine de La Rochefoucauld pour le Louvre

 

La jeune ingénue qui repousse et accompagne l’étreinte de son amant est habillée de l’une des dernières inventions de la mode : « la robe à l’anglaise ».

 

Le jeune homme vigoureux s’oppose par sa mise à sa compagne. Elle est habillée « enluminée », coiffée et poudrée, il est en chemise et caleçon, son costume git à terre sur la chaise renversée. L’absence de poudre laisse entendre l’appartenance à un autre « monde ». Est-il anglais ? Le gentilhomme insulaire mène une vie au grand air. Est-il fils de financier ou « garçon marchand » travaillant dans les métiers du luxe ? Le seul indice la blancheur du linge, signe d’opulence, et l’usage du caleçon, une nouveauté en France dans les milieux aisés. La robe en soie jaune, la couleur du cocuage, est ajustée au corsage, ample du bas, s'ouvrant devant sur une jupe claire également en soie dont la matière est reprise pour le dessus du grand lit à draperies suspendues. La manche de la chemise en lin paraît à la saignée du bras, ce vêtement est porté sur la peau. La femme est nue sous ses jupons, la culotte n’est pas encore d’usage, sauf chez les danseuses ou les cavalières. Les jambes sont habillées de bas de soie blanche tenus par une jarretière, les souliers recouvert de soie.

A l’arrière de la robe, entre les reins, vient s'insérer la pointe du corsage de la robe à l'anglaise ce qui donne cet aspect cambré si particulier : le devant prend la forme allongée du corps baleiné porté sous la robe. La « robe à l’anglaise » se porte sur un « cul » héritier des « criardes » du XVIIe et précurseur des « tournures » du XIXe, le panier articulé est abandonné. Ce rembourrage d’étoupe aux formes diverses faisant les délices des caricaturistes.

Alors que Fragonard peint cette scène pour le marquis de Véri, The Lady's Magazine, en 1777, raconte l’aventure cocasse de madame de Matignon arrivant de Naples : «…Obligée d’aller sur-le-champ à Marly, où était la cour, elle n’y avait vu que deux ou trois personnages très-graves, qui n’avaient pas imaginé de la mettre au fait des modes nouvelles. Cette mode, consistait à se mettre par-derrière, au bas de la taille, et sur la croupe, un paquet plus ou moins gros, auquel on donnait sans détour le nom de « cul ». On la logea dans un appartement séparé par une cloison très mince; que l’on se figure s’il est possible, la surprise lorsque le lendemain, elle entendit entrer chez madame de Rully madame la princesse d’Hénin, qu’elle reconnut à la voix, et qui sur le champ dit : « Bonjour mon cœur ; montrez moi votre "cul"… » Madame de Matignon, pétrifiée, écouta attentivement et recueillit le dialogue suivant. Madame d’Hénin, reprenant la parole, s’écria du ton de l’indignation : «Mais mon cœur, il est affreux votre cul ! étroit mesquin, tombant ; il est affreux, vous dis-je. En voulez vous un joli ? Tenez regardez le mien…»« Ah ! C’est vrai !» reprit madame de Rully avec l’accent de l’admiration. « Regardez donc, mademoiselle d’Aubert (c’était la femme de chambre, présente à cette scène) ; il est rebondi !...Le mien est si plat, si maigre !... Ah ! Le joli "cul", le joli "cul" » «Voilà, comme il faut avoir un "cul" ; quand on veut réussir dans le monde. Il est bien heureux que j’aie été chargée du soin de vous surveiller ».