Elisabeth-Louise Vigée-Le Brun (1755 – 1842)
La comtesse Skavronskaia, 1796
80 x 66 cm, huile sur toile.
Aile Sully, 2e étage, salle 52.
Des cheveux pendants au naturel sans poudre, aux boucles flottantes organisées dans un savant désordre avec un fichu noué en bandeaux. Ekaterina avait vécu à Naples où son mari était ambassadeur et avait pu y observer comme Goethe les excentricités de lady Hamilton qui, en 1787, vêtue d’une tunique grecque, « prenait des attitudes sous le ciel en faisant cent sorte de coiffures avec le même châle.»
Article extrait du magazine Grande Galerie – Le Journal du Louvre, n°14, décembre/janvier/février 2010-2011
Par Sabine de La Rochefoucauld pour Le Louvre
La comtesse Skavronskaia était une indolente et voluptueuse créature dont l’apparition au chevet de soldats mourants donnait l’espoir d’une guérison : ils apercevaient l’une des plus grandes beautés d’Europe. Sous le châle qui la réchauffe, elle porte une robe chemise aussi légère qu’un voile.
D’Ekaterina Skavronskaia, nièce et maîtresse du général Potemkine, dame d’honneur de Catherine II surnommée «L’ange flottant », Elisabeth Vigée-Lebrun écrit dans ses Souvenirs : « elle n’avait aucune instruction, et sa conversation était des plus nulles ; en dépit de tout cela, grâce à sa ravissante figure et à une douceur angélique, elle avait un charme invincible.» Elle la peint vêtue d’une robe chemise, probablement sans aucun dessous puisque l’artiste évoquera le plaisir qu’éprouvait son modèle à s’allonger nue enroulée dans une fourrure. Ce portrait évoque la moelleuse ambiance de l’existence d’Ekaterina en rendant perceptible la sensualité de son corps libéré de toutes contraintes.
Cette tenue, à l’origine portée par les élégantes de Saint-Domingue puis adoptée par les épouses d’armateurs bordelais, est devenue célèbre avec Marie-Antoinette qui se plaisait dans ces robes de coton légères lorsqu’elle séjournait au Petit Trianon. La robe devint alors «chemise à la reine ». On criera au scandale à l’ouverture du Salon de 1783 en voyant le portrait de la souveraine peinte par Elisabeth Vigée-Le Brun dans ce vêtement jugé trop informel et le tableau fut retiré de l’exposition. L'artiste, fuyant la Révolution en 1789, voyagea en Europe et séjourna en Russie de 1795 à 1801.
Appuyée sur un grand coussin de velours de soie rouge la comtesse Skavronskaia porte une robe chemise coupée selon la mode du jour, à l’antique. Ces longues tuniques blanches à taille haute et généralement sans manche moulent le corps. Elles sont à la Romaine, à la Flore, à la Cérès, à la Minerve à la Galatée à l’Omphale… En coton, mousseline, linon ou gaze, ces robes se relèvent à la main, découvrant une jambe nue sans bas dont le pied est chaussé de cothurnes, sandales lacées sur le mollet. Les doigts de pied apparaissent ornés de bagues. Pour ne pas nuire au jeu des plis, jupon et chemise seront supprimés. C’est la tzarine Elisabeth qui mourra l’année de la réalisation de ce portrait par l’artiste alors à Saint-Pétersbourg, qui introduit en Russie les modes françaises faisant venir de Paris de très nombreuses toilettes.
La princesse d’Orange, Frédérique de Prusse écrit de la Haye en 1793 : «C’est une espèce de chemise, mais qui monte moins haut que celle que l’on portait et on n’est pas lacée sous celle-ci. Précisément sous le sein, on porte un mouchoir en forme de ceinture, attaché derrière avec un nœud entre les épaules ; de là cet habillement va tout d’une venue jusqu’au bas, comme un sac, sans marquer la taille… Il est horrible pour les personnes laides, mal faites ou vieilles, et excessivement indécent pour les jeunes. » Cette quête de liberté conduit en octobre 1798 deux jeunes femmes à se promener nues aux Champs Elysées sous un fourreau de gaze ; apostrophées, huées, elles furent reconduites chez elles.
Pour la première fois depuis plusieurs siècles, le corps de la femme respire mais le docteur Désessarts affirme dans le Journal de Paris d’octobre 1798 « qu’il a vu mourir plus de jeunes filles depuis le système des nudités gazées que dans les quarante années précédentes. » Pour s’abriter du froid, écharpes et châles deviennent des accessoires indispensables. La comtesse porte une grande étole en cachemire bleu indigo dont la bordure est brodée de motifs stylisés en forme de palmettes fréquentes dans l’antiquité gréco-romaine. Le cachemire est si précieux qu’il se donne entre souverains. La mode était aux bijoux archéologiques, or et camées. Ekaterina porte un discret camée et une triple chaine orne son cou.
Louis-Sébastien Mercier observe dans son livre Le Nouveau Paris les excès de la mode en France : « tout devient type d’une mode nouvelle pour une nation aussi frivole que la nôtre. La robe de la statue de Flore sert de modèle à celles de nos belles de jour qui accusent l’embonpoint de leurs formes d’une manière trop visible pour nous donner le plaisir de les deviner. Ah ! N’oublions pas que la pudeur est la grâce de l’amour »