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Petite Chronique du Costume: Diderot, un philosophe en robe de chambre

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Par Sabine de La Rochefoucauld pour le Louvre

 

Ce négligé qui, ici, a l’apparat d’un riche habit à la française, provoqua les railleries amicales de l’écrivain ! Depuis, la postérité ne le voit plus qu’avec ce costume.

 

Diderot commente ainsi son portrait peint par Van Loo exposé au salon de 1767 : « J’aime Michel, mais j’aime encore mieux la vérité […] un luxe de vêtements à ruiner le pauvre littérateur, si le receveur de la capitation vient à l’imposer sur sa robe de chambre. […] On le voit de face. Il a la tête nue. Son toupet gris avec sa mignardise lui donne l’air d’une vieille coquette qui fait encore l’aimable. La position, d’un secrétaire d’État et non d’un philosophe. C’est cette folle de Mme Van Loo qui venait jaser avec lui, tandis qu’on le peignait, qui lui a donné cet air-là et qui a tout gâté […]. Que diront mes petits-enfants, lorsqu’ils viendront à comparer mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, efféminé, vieux coquet-là ? » La mise en scène est cependant réaliste. Assis dans l’intimité de son cabinet de travail, le littérateur cherche l’inspiration avant d’écrire. L’encrier, le bâton de cire rouge et les nombreuses lettres l’attestent. Louis Michel Van Loo peint le philosophe habillé de sa propre robe de chambre en satin bleu que l’on retrouve dans son autoportrait de 1762 avec sa soeur devant le tableau de leur père.

L’écrivain porte cette robe de chambre sur un gilet sans manches, réalisé dans le même tissu et assorti de boutons recouverts de la même soierie. On aperçoit la chemise de lin entrouverte et garnie de dentelles en mousseline de coton brodée sur le jabot ainsi qu’aux manchettes. Celles-ci sont indépendantes de la chemise afin de pouvoir les séparer au blanchissage. Ce satin bleu est d’une densité exceptionnelle, il brille au point de paraître argenté. L’armure de cette étoffe, dont seuls les fils de chaîne apparaissent, est recherchée au XVIIIe siècle car, plus sophistiquée que le taffetas, elle permet des effets de lumière et de profondeur optique.

L’Encyclopédie lui consacre plusieurs planches techniques. La coupe de la robe de chambre, à petit col droit, est de forme « kimono » comme la moitié des robes de chambre du XVIIIe siècle qui nous sont parvenues. La Hollande joue un rôle dans la propagation de cette mode car, depuis 1623, elle détient le monopole du commerce avec le Japon. Toutefois les élites françaises portent ce vêtement depuis la fin du XVIe siècle.

« Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune »

Fin XVIIIe, les vêtements de l’intimité combinent confort et élégance et parviennent à réconcilier naturel et artifice. La robe de chambre est un vêtement en vogue qui se porte chez soi pour recevoir amis et relations professionnelles. Les hommes du Nord, l’Anglais et le Néerlandais, n’hésiteront pas à sortir en promenade et au café en robe de chambre enfilée sur plusieurs gilets, à la manière d’un manteau. À la maison, les hommes retirent leur perruque lourde et inconfortable, et enfilent la robe de chambre sur le gilet en retirant l’habit ou le frac. Ainsi vêtu, le gentilhomme fait sa toilette, travaille, lit et écrit dans son cabinet. L’Orient, en privilégiant les matières souples et les vêtements confortables, joue un rôle essentiel dans l’histoire du costume au temps des Lumières.

Diderot recevra de Mme Geoffrin, la salonnière, une somptueuse robe de chambre écarlate. Ce cadeau fut l’occasion d’une méditation restée fameuse, Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune : « Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât ; car l’indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. À présent, j’ai l’air d’un riche fainéant ; on ne sait qui je suis […]. Maudit soit celui qui inventa l’art de donner du prix à l’étoffe commune en la teignant en écarlate ! Maudit soit le précieux vêtement que je révère ! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande. Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l’atteinte de la richesse. »

Thématique : Oeuvres - Département des Peintures
Titre / Artiste ou origine : Denis Diderot / VAN LOO Louis-Michel
Précisions : Sans cadre. / Datation : 1767.
N° d'inventaire : RF 1958
Localisation : Musée du Louvre
Photographe : Angèle Dequier
N° Image : AD040037
Copyright photo : © 2004 Musée du Louvre / Angèle Dequier

 

Article extrait du magazine Grande Galerie – Le Journal du Louvre, n°13, septembre/octobre/novembre 2010